- Messeigneurs, répondit Hélène, rendez notre justice et vengez tous ces miséreux. Nous allons retourner à Haguefort avec les miens.
Hélène les salua et s'en retourna avec son fils et quelques uns de son escorte, laissant le reste en renfort des hommes de Fernand.
Aymeric salua Jean, les deux jeunes étaient devenus amis à Belfort.
- Toi, guide nous à ton village ! Ordonna Hugon de Lanta au derzi pendant que les Guizet s'éloignaient.
- Monseigneur, hélas! je ne le peux. Je suis vieux et fatigué, et je dois m'occuper de mes jeunes enfants. Mais mon aîné va vous conduire. Harshan, mène ces chevaliers à Neauphe.
Approcha un jeune adolescent d'un age où sa tête n'était pas encore enturbannée. Il portait des cheveux courts d'un noir profond et ses yeux étaient de la même couleurs que ceux de son père. De taille moyenne et d'apparence frêle, il était habillé d'une simple tunique ceinturée par une corde de chanvre sur des braies en guenilles. Il était pieds nus.
Il inclina servilement la tête, tout à l'obéissance de son père.
Hugon l'attrapa pour le faire monter sur son cheval.
- Allons chasser du maurannais ! S'écria le Dogue Rouge en tirant sur la bride de son cheval, tout impatient de sortir son épée.
Hugon de Lanta ouvrit la marche, remontant les sentiers en suivant les instructions de son jeune guide. Ils auraient pu simplement suivre les colonnes de fumée qu'on voyait au loin, mais il était facile de se perdre dans le bocage du Pays-Plat et avoir un guide était indispensable pour gagner du temps.
Neauphe-sous-Vesvres était un petit village, presque un hameau, du genre à n'apparaître sur aucune carte, avec en son centre un moulin à vent jouxtant un four à pain, ainsi qu'une petite chapelle qu'on ne pouvait qualifier d'église. Le reste était composé de petites masures maigres et pauvres.
A leur arrivée, les ribauds avaient déguerpis mais les toits de chaumes brûlaient encore en exhalant cette sombre fumée. Plusieurs corps mutilés étaient face contre terre le visage plongé dans la boue, leurs haillons tout ensanglantés et troués par des coups d'épées et de lances. Des hommes étaient décapités, d'autres démembrés ou le ventre ouvert, leurs entrailles répandues sur le sol. Les femmes avaient leurs jupes encore relevées, leur cou strié de pourpre, les yeux révulsés et le visage bleuté.
Les routiers s'étaient bien amusés ici, massacrant les hommes, violant les femmes, brûlant les maisons et emportant tout ce qui pouvait y avoir de valeur : les sacs de grains et de farine, les cochons et les poules, les outils de fer et quelques vêtements.
La petite chapelle avait été éventrée et dévalisée, le contenu des coffres répandus sur le sol.
- Les autres avaient un calice dorée, peut être le seul trésor du village. Ils l'ont prit avec eux, expliqua Harshan. "Les autres" désignait les triaphysites, car lui, derzi, n'allait bien évidemment jamais prier dans la chapelle. Il ne montrait d'ailleurs aucune émotion au vol du précieux calice sacrée, mais se sentit quand même obligé d'en parler aux pieux chevaliers qu'il accompagnait.
- Ces enfants de chien ne respectent rien, pas même Dieu. Cracha à nouveau Hugon de Lanta. A l'autre extrémité du village, plusieurs traces de chevaux convergeaient sur le chemin menant au Nord vers la côte.
- Le carnage est encore frais, ils ne doivent pas être bien loin, observa Hugon de Lanta.
Quelques-uns de la garde descendirent de leurs chevaux pour fouiller les restes calcinés. Il n'y avait plus rien, tout avait été prit ou détruit. Mais au fond d'une cabane l'un des bannerets trouva une chose toute recroquevillée sur elle-même. Il en sortit en tirant par le bras une fillette survivante.
- J'ai trouvé ça, dit-il à Fernand.
La fillette ne se débattait même pas, toute prostrée les yeux dans le vide, attendant simplement qu'on vienne lui ôter sa jeune vie comme on l'avait fait pour tous ceux qu'elle connaissait. Son visage était noir de suie, ses cheveux collés par du sang coagulé. Elle ne devait pas avoir plus de 8 ans.
- C'est Bréanne la fille du meunier, indiqua Harshan, son père est là avec le reste de sa famille, dit-il en désignant le cadavre d'un grand homme barbu à l'orbite trouée par une lance. Sa mère et ses frères et sœurs, non loin de leur père, étaient immergés à côté dans une mare rouge, les corps déchiquetés et leurs organes éparpillés autour d'eux.
- Qu'est ce qu'on fait d'elle monseigneur ? demanda le chevalier à Fernand.
Ces derniers temps, les bannerets de la maison de Montfay avaient prit l'habitude de demander leurs ordres à Fernand plutôt qu'à Hugon de Lanta. Ils s'accommodaient peu à peu à l'autorité de leur futur baron.
La fillette était chétive, blessée et traumatisée, peut être fallait-il mieux l'abandonner ici, ou même l'achever tout de suite, plutôt que de s'encombrer avec.